Pour son sixième album, Johan Tronestam a rejoint cette année l'écurie allemande SynGate Records. Ce résident des îles Åland, en mer Baltique, ne pouvait rester éternellement loin de l'Allemagne, berceau d'un genre de musique électronique auquel il est attaché depuis bientôt vingt ans. L'album, intitulé Compunctio, est sorti le 19 juillet 2014, à l'occasion de la Schwingungen Gartenparty qui se tient annuellement à Hamm et au cours de laquelle Johan s'est livré à son tout premier concert en solo. Désormais bien connu dans la famille de la musique électronique traditionnelle, Johan a refait le déplacement vers le sud trois mois plus tard, afin d'assister à la 7e édition du festival Electronic Circus à Gütersloh. Et il n'a pas été déçu du voyage.
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Johan Tronestam de passage à la Weberei de Gütersloh, Electronic Circus 2014 |
Gütersloh, le 4 octobre 2014
Qui es-tu Johan ? D'où
viens-tu ?
Johan Tronestam – Mon
nom est Johan Tronestam. Je viens des îles Åland, un archipel d'environ 6500
îles, la plupart inhabitées, situé dans la mer Baltique, entre la Suède et la Finlande. J'y habite
depuis 2006. C'est
là que je travaille et que je compose ma musique. L'archipel appartient à la Finlande mais jouit d'un
statut spécial d'Etat associé car ses 25 000 habitants sont en fait tous
suédophones. Åland a d'abord appartenu au royaume de Suède, comme la Finlande, mais quand la Russie s'est emparée de
cette dernière, elle a aussi pris l'archipel, et l'a rattaché à sa possession
de Finlande. Après la
Première Guerre mondiale et l'indépendance de la Finlande, c'est la SDN qui a décidé que le
territoire lui resterait finalement associé plutôt qu'à la Suède.
Je ne savais pas
qu'il y avait une scène électronique dans les îles Åland.
JT – Je dois en
être le seul représentant ! Je n'ai encore rencontré personne sur place qui
partage cette passion.
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Johan Tronestam – The Island (2007) |
Les paysages de
l'archipel font-ils partie de tes sources d'inspiration ?
JT – Oui,
énormément. Ils affectent beaucoup mes compositions, notamment mon premier
disque, The Island [2007], qui leur
est entièrement consacré. Je suis vraiment très impressionné par les paysages
de l'archipel. On y trouve une nature sauvage et vivante. Et je pense que ma
musique reflète cela.
Tu parlais de ton
travail. Qu'exerces-tu comme métier ?
JT – J'ai d'abord
travaillé en Suède, comme conseiller d'orientation. J'aide les gens à s'insérer
sur le marché du travail. J'ai aussi travaillé en collaboration avec diverses
compagnies dans le même but : favoriser l'orientation professionnelle.
Quand as-tu commencé
à enregistrer de la musique électronique ?
JT – Comme
beaucoup d'autres, j'ai d'abord joué dans plusieurs groupes dans des genres
très différents, comme la pop, le rock ou le rock progressif. J'y occupais en
général le poste de clavier, car j'avais depuis toujours une certaine
familiarité avec le monde de la musique électronique. Aussi, quand j'ai décidé
de produire ma propre musique, vers 1995, c'est dans cette direction que je me
suis orienté. J'ai commencé à me constituer un petit studio et à y explorer de
nouvelles manières de produire des sons électroniques, tout en me laissant
inspirer par les artistes qui nous ont précédés et que je considère un peu
comme mes mentors.
Qui sont ces mentors
?
JT – Jean-Michel
Jarre, avec Oxygène, a bien sûr
représenté pour moi la porte d'entrée dans le monde des synthétiseurs. Tout
comme les premiers albums solo de Tim Blake [ancien clavier de Gong et
Hawkwind], ou encore Neuronium, mais aussi des compositeurs suédois comme Ralph
Lundsten et Bo Hansson. Ralph Lundsten est un compositeur de musique électronique
plutôt connu. Bo Hansson évolue quant à lui dans un environnement plus
progressif. Mais je trouve aussi des sources d'inspiration en dehors de la
musique électronique, ) commencer par Pink Floyd, ou, toujours dans le domaine
progressif, des groupes comme Yes, par exemple.
C'est donc en 2007
que tu as publié The Island, ton
premier disque, puis quatre autres par la suite, tous autoproduits.
JT – Oui, j'ai
créé pour l'occasion mon propre label, TeamQuasar, afin de publier des CD
pressés. C'était un choix délibéré mais presque inévitable, pour la simple
raison qu'il est très difficile de trouver une maison de disque là où j'habite,
à plus forte raison dans le domaine qui m'intéresse.
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Johan Tronestam – Compunctio (2014) |
En revanche, ton tout
dernier, Compunctio, est paru chez
SynGate le 19 juillet dernier.
JT – Beaucoup
d'amis, avec qui j'étais entré en contact sur Internet, faisaient partie du
label, comme Christian Ahlers, connu sous le nom de BatteryDead. J'ai
d'ailleurs eu l'occasion de le rencontrer en vrai l'année dernière à Hamm, lors
de la Gartenparty
2013. Et beaucoup d'entre eux m'ont conseillé de solliciter Syngate Records,
qui pourrait être intéressé par ma musique. Au début de cette année, j'en ai
parlé à Kilian, qui était très ouvert, et très content que je pense à lui pour
mon disque.
A quel genre de
musique doit-on s'attendre en entendant Compunctio
?
JT – Même si je
reprends en grande partie la structure classique à base de séquenceurs et de
pads, beaucoup de gens me disent que ma musique n'en est pas moins
particulière, que j'ai un genre bien à moi. J'y introduis aussi parfois des
ambiances de folk music, comme celle
qu'on trouve en Scandinavie. Cependant, le disque a été très compliqué à
réaliser. Au-delà de cette structure électronique, j'ai joué un maximum de
solos. Quant au sujet, il m'a été soufflé par mon frère aîné Staffan. Compunctio décrit la souffrance
spirituelle des hommes dans leur quête du sens de l'existence, de la beauté et
du divin. Tout l'album est imprégné d'une certaine atmosphère religieuse.
Et comment construis-tu
tes performances live ?
JT – Je suis
obligé de me reposer sur une piste en playback afin d'avoir les mains libres
pour jouer les solos. En effet, ma musique est assez complexe. Plusieurs pads,
des séquenceurs, des percussions qui vont et viennent : tout cela s'entremêle
et il n'est pas possible de contrôler tout ça en direct, à moins de renoncer à
une bonne partie des instruments.
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Johan Tronestam live @ Schwingungen Gartenparty, Hamm, 19/07/2014 |
Qu'a représenté pour
toi ton concert à la
Gartenparty au mois de juillet dernier ?
JT – Du stress.
J'avais déjà joué sur scène auparavant avec plusieurs groupes, mais jamais
seul. Donc c'était une première, en ce qui me concerne. Les premières vingt
minutes, j'étais un peu nerveux. J'espère qu'on n'a pas vu mes mains trembler.
Ce n'était pas à cause du trac, mais plutôt parce que j'avais peur que quelque chose
fonctionne mal techniquement, qu'un instrument me trahisse, par exemple. Je me
demandais en permanence : « Est-ce que tout va bien fonctionner jusqu'à la fin
? » J'avais deux Roland Gaia, un mini-clavier relié à un iPad et un Korg
Kronos, mais ce n'était pas le mien, d'où l'incertitude. J'en ai un à la
maison, mais il m'aurait été difficile de le transporter jusqu'à Hamm. Thomas
Jung, qui jouait avant moi ce jour-là, m'avait donc gentiment prêté le sien.
Tu as un iPad ? Donc
tu n'es pas un puriste de l'analogique, tu es aussi ouvert aux nouveaux outils.
JT – En
l'occurrence, il s'agissait plus prosaïquement d'une solution pratique. A la
maison, j'ai un Roland JX-8P. Comme, là encore, il m'était impossible de
l'emporter avec moi depuis si loin, je l'ai samplé sur l'iPad, de sorte de
disposer des pads dont j'avais besoin pour le concert.
Le voyage depuis les
îles Åland doit être un sacrée expérience.
JT – Il n'y a pas
de train ni d'autoroute sur l'archipel, mais la plupart des îles sont reliées
entre elles par des ponts. Tout le monde a sa voiture; Peut-être y a-t-il même
plus de voitures que d'habitants. De Lemland, où j'habite, je dois d'abord me
rendre à Mariehamn, la capitale, sur l'île principale, pour y prendre un ferry
jusqu'à Stockholm. Soit deux heures de traversée. De là, je file à l'aéroport
et je prends un avion à destination de Cologne. Et ce n'est pas fini. Après, je
peux compter sur un excellent ami pour me chercher à l'aéroport et m'amener
jusqu'ici.
Un ami qui habite
Cologne ?
JT – Non. Weimar.
Il s'agit de Bernhard Popp. Je t'ai dit que c'était un excellent ami !
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Johan Tronestam – Impressions |
Pourquoi as-tu décide
de refaire le déplacement aujourd'hui, à l'occasion de l'Electronic Circus ?
JT – C'est très
important, parce qu'un tel événement me permet de rencontrer beaucoup de gens
qui partagent avec moi la même passion pour ce type de musique. Pour quelqu'un
comme moi, qui habite dans les mers septentrionales, ici c'est un peu La Mecque de la musique
électronique, le point central, le point de convergence des passionnés. C'est
là que ça se passe, et c'est là que je dois être.
Mais de quoi
parlons-nous quand nous parlons de musique électronique ?
JT – Je me sens
comme un musicien de musique synthétique instrumentale. Un genre qui peut
paraître extrêmement pointu, c'est vrai, alors qu'en fait, il s'agit d'un
univers très vaste. De la
Berlin School à Vangelis, le spectre est immense. Mais d'une
manière ou d'une autre, quand on s'intéresse à cette musique, on en revient
toujours à l'Allemagne, et en particulier à cette région. Pour faire partie de
cette famille, je dois donc rester connecté avec les gens d'ici.
En parlant de
connexions, hier, lors du dîner de pré-festival, tu as rencontré pour la
première fois une légende de la radio allemande, Winfrid Trenkler.
JT – Une belle
rencontre ! Winfrid Trenkler est un homme très agréable et très intéressant à
écouter parler. Il connaît une foule d'anecdotes et m'a beaucoup appris au
sujet de l'histoire de la musique électronique et du rôle qu'il a joué. Il a
été l'un des premiers journalistes à s'y intéresser en Allemagne, et à diffuser
cette musique sur les ondes. L'émergence de cette scène, en particulier en
Rhénanie-Westphalie, doit beaucoup à ses émissions. A titre plus personnel,
j'ai été également enchanté de découvrir à quel point il connaît aussi la scène
scandinave. Il faut dire qu'il habite désormais en Suède. Ainsi, mes deux
mentors, dont je t'ai parlé au début, Ralph Lundsted et Bo Hansson, eh bien
lui, il les a rencontrés personnellement.
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Johan Tronestam, Electronic Circus 2014 |
Te reverrons-nous sur
scène dans un avenir proche ?
JT – Je l'espère.
Rien n'est prévu, mais en ce moment, je tente d'organiser quelque chose en
Scandinavie. Je souhaite me produire d'abord à Åland. Je suis en contact avec
une chaîne de télévision locale, qui aimerait bien réaliser une vidéo à partir
de ma musique. J'espère que ça va se faire. J'ai aussi reçu des échos d'une
station de radio finnoise qui possède des copies de mes anciens albums et qui
pourrait aussi en faire bientôt quelque chose.
Et un nouvel album ?
JT – Je travaille sur deux albums en même temps. Le
premier est achevé depuis très longtemps, mais je souhaite revoir le mastering.
Le second sera en revanche entièrement inédit. Je travaille sur un nouveau
concept.