Comme chaque année
depuis treize ans, Broekhuis, Keller & Schönwälder entament leur saison
électronique en l’église de Repelen, où ils reviennent sur leur passé tout en
présentant un avant-goût de leurs dernières créations. Un nouveau CD
accompagnait cette édition, Red Live @
USA, qui documente leur escapade américaine de 2012. Conformément à la
tradition, c’est en trio qu’ils se sont produits le premier soir, avant que le
guitariste Raughi Ebert, le violoniste Thomas Kagermann et son épouse, la
danseuse Eva Kagermann, ne les rejoignent le lendemain. Cette année, un artiste
britannique assurait la première partie du vendredi : David Wright,
accompagné par la chanteuse Carys. Leur collaboration peut être écoutée sur
l’album Prophecy, publié le 3 mars
dernier.
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BK&S & Friends @ Repelen 2017. De gauche à droite :
Raughi Ebert, Bas Broekhuis (masqué), Detlef Keller, Mario Schönwälder, Eva et Thomas Kagermann |
Repelen, les 10 et 11 mars 2017
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David Wright |
Je n’avais encore jamais eu l’occasion d’évoquer David
Wright sur ce blog. C’est qu’il représente une imposante bifurcation dans la
vaste généalogie de la musique synthétique. Bifurcation géographique
d’abord : David Wright est originaire du Suffolk, en Angleterre.
Bifurcation stylistique ensuite : Wright représente tout un univers, mais
aussi toute une écurie, au travers de son label AD Music et de son festival
E-Scape. Si, parmi les artistes AD Music, Klaus Hoffmann-Hoock nous est déjà
familier, citons aussi Glenn Main, Robert Fox, Steve Orchard, Andy Pickford, et
même un Français, Sylvain Carel. La liste est loin d’être exhaustive. Nous
aurons l’occasion de reparler de et avec David Wright.
Le terme de rock électronique – autrefois utilisé faute de
mieux pour qualifier la musique de Tangerine Dream et consort – qualifierait
assez bien la musique de Wright.
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David Wright & Carys |
Je parlais d’une double bifurcation
géographique et stylistique : David et – en partie – son label
s’inscrivent dans une vision plus rythmée, plus distrayante également, de la
musique électronique. Sur ce point, le voici sans doute sur la même longueur
d’ondes que VoLt ou John Dyson, Britanniques comme lui, mais aussi Ron Boots et
cie. Les moments
ambient ne sont pas
absents, les bons vieux séquenceurs non plus. Mais David Wright revient
constamment aux mélodies
catchy. De
quoi séduire la télévision, dont de nombreux programmes ont fait usage de sa
musique.
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Carys |
Sur scène avec Carys, sa complice depuis 2013 – on entend sa
voix sur plusieurs albums de David et de Code Indigo, le duo que David forme
avec Robert Fox – David Wright interprète de larges extraits du nouvel album,
Prophecy. Egalement originaire du
Suffolk, Carys a tout de la chanteuse folk. Mais elle n’apporte que ça et là ce
type de contribution à la musique de David. Le duo interprète bien quelques
chansons, mais c’est surtout comme instrument à part entière que Carys utilise ici
sa voix. Le procédé n’est pas nouveau dans le milieu qui nous occupe – le duo
Alien Voices en a fait sa marque de fabrique – mais trop rarement utilisé. Or
la voix humaine, mise à contribution de la sorte, se marie admirablement avec
les synthés.
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BK&S @ Repelen 2017 |
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Bas Broekhuis |
C’est à un show 100% synthés
qu’invitent ensuite Broekhuis, Keller & Schönwälder. Detlef Keller indique
vouloir placer la soirée sous le patronage de la Berlin School. On s’attend
alors à entendre les morceaux les plus froesiens de BK&S. Raté. Le trio ne
fait pas du TD mais du BK&S. Pas d’inquiétude : le set principal, une
longue suite ininterrompue de trois quarts d’heure, est un hymne à l’empire du
séquenceur. Mais on sent que nos amis ont d’autres amours également.
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Mario Schönwälder |
Et ils
continuent à évoluer technologiquement. Mario n’a pas sorti son Memotron cette
année, mais les sons typiques sont bien là, en librairie, stockés dans un autre
instrument. Quant à Bas, il a fini par succomber au charme des applis. S’il a
bien son set habituel autour de lui, il a trouvé cette fois une nouvelle
surface à cogner : l’écran de sa tablette tactile !
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Detlef Keller |
Finalement, c’est
la harpe laser de Detlef qui fait figure de dinosaure. Elle représente même le
seul bémol de ce concert autrement sans anicroche : visuellement
spectaculaire (c’est le but), mais tout de même diablement peu maniable et donc
peu propice aux brillantes improvisations.
En rappel, une belle surprise
attend les aficionados. Une séquence de quatre notes fait d’abord dresser
l’oreille. Puis vient cette mélodie reconnaissable entre toutes : il
s’agit bien du thème du film
Sorcerer
créé par Tangerine Dream, que les trois compères font malicieusement évoluer
jusqu’à le rendre méconnaissable.
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BK&S & Friends @ Repelen 2017 |
BK&S a d’autres amours. Le
constat se vérifie le lendemain avec leurs fidèles amis Raughi Ebert, Thomas et
Eva Kagermann. En leur compagnie, le trio explore d’autres horizons. Impossible
d’abandonner la Berlin School
(notamment avec le bien nommé
One Step
Backwards), mais l’ambiance sait aussi se faire plus légère. Deux des
morceaux,
First et S
econd Lounge, en témoignent par leur
titre.
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Raughi Ebert |
Mais c’est surtout la guitare flamenco de Raughi Ebert et le violon de
Thomas Kagermann qui donnent à la soirée sa véritable coloration. Leurs
lumineuses interventions voudraient qu’on emploie le cliché usuel de deux musiciens
« très en forme ». Un jugement littéralement inexact concernant le
malheureux Thomas, handicapé par une lombalgie épouvantable et qui, malgré
tout, s’exclamera après le show avoir vécu l’un de ses meilleurs moments à
Repelen !
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Thomas Kagermann |
Les deux hommes se fendent même
en fin de concert d’une de leurs vibrantes improvisations. Là, les synthés se
taisent. Et c’est bien volontiers que les trois autres leur laissent la
vedette, comme s’ils avaient peur de briser ce fragile instant. De quoi
alimenter bien des méditations, y compris sur un blog consacré à la promotion
de la musique électronique. Comme cette question : avions-nous vraiment
besoin de la technologie pour être heureux ? Une guitare, un violon :
c’est comme au coin du feu.
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BK&S & Friends @ Repelen 2017. Les costumes fantaisistes d'Eva Kagermann |
L’élément de surprise est encore
renforcé par les pas de danse d’Eva. Chacune de ses apparitions est un
spectacle en soi, y compris pour les musiciens, qui ignorent tout de ses
costumes jusqu’au dernier moment. Eva ne répète pas avec eux, ils découvrent
donc la nature de son intervention en même temps que le public. De temps à
autres, l’un d’eux ne peut s’empêcher d’observer incrédule ses déambulations,
au point qu’on craint qu’il en oublie qu’il n’est pas un spectateur. Eva a
gardé tous ses costumes des éditions précédentes : accumulation de masques
bizarres, de voilettes bariolées et de couvre-chefs extravagants. Les
spectacles de BK&S sont à l’image de ces costumes. Leur musique
aussi : tour à tour comique ou dramatique, grave ou légère, souriante ou
mystérieuse.